vendredi 30 août 2013

MondialiZation


   De nombreux enfants se verraient bien en Mark Zuckerberg. Sans doute pour le champ des possibles ouvert par ses milliards dans leur jeune imagination, mal informée du coût et de la variété des choses, mais capable de se projeter sur une île déserte ou dans l'espace - la fortune maximum équivalant à la liberté absolue. Pourtant, à l'heure où Think like Zuck, « les 5 secrets » de l'informaticien pour tous les jeunes ambitieux, s'apprête à connaître un succès de librairie prévisible, on peut se demander si Zuckerberg, Zorro moderne, est bien le héros des jeunes têtes ou celui de leurs géniteurs.

   Une entreprise qui engrange de faramineux bénéfices est-elle, comme le voudrait la droite libérale, le lieu de tous les rêves d'enfance, l'aventure la plus exaltante à suivre ? Le trader, l'actionnaire, le PDG sont-ils vraiment pour les enfants une figure chevaleresque possible, qui force l'admiration à la récré?
S'il est vrai que l'homme, selon l'exemple donné par Pascal, traque dans la chasse au sanglier davantage la chasse elle-même -c'est-à-dire l'action et le suspense- il me semble qu'on ne peut attendre à fortiori d'un enfant qu'il s'identifie au jeune héros milliardaire, assis sur son pécule et comme déjà en retraite, hissé là après avoir damé le pion à des adversaires qui n'ont pas su, comme lui, saisir les bonnes opportunités, mettre la loi de leur côté, déposer un brevet à temps, trahir un collaborateur, placer leur argent. Au récit de tant d'exploits, si l'enfance baille, qui cela surprendra-t-il ?
   Les parents, de leur côté, soucieux dès la fin du primaire de l'avenir chiffré de leur enfant, hanté par le mot « crise » qui remplace peu à peu le mot « monde », en viennent trop souvent à souhaiter que Zuckerberg, mieux que Zorro, fasse rêver leur progéniture. De l'audace, de l'audace, mais surtout de l'argent. L'audace sans argent peut mener en prison, et pas d'audace, à Pôle Emploi. Il faut donc faire preuve de bravoure -comme les chevaliers que vous aimez tant, les enfants- mais calculer d'abord. Si c'est Sinbad qui vous fait rêver, soyez Sinbad. A un petit quelque chose près, c'est la seule clause: partir pour les diamants, pas pour l'aventure. Mais de l'aventure, il y en aura, ne vous inquiétez pas !
   Seulement, Sinbad ne savait pas qu'il rapporterait chez lui des diamants, et c'est sans doute ce qui en fait un aventurier et un héros, récompensé pour sa soif d'inconnu et de péripéties par une Fortune bienveillante. Et l'enfance, à mon avis, ne s'y trompe pas : d'accord avec la Fortune, elle acclamera toujours Sinbad avant Zuckerberg. Pour elle, la beauté du geste, l'intention de qui agit ne comptent pas moins que les résultats obtenus.
   Si les petits veulent être cotés en bourse, c'est avant tout pour faire plaisir à papa maman, aux vieux enfants désabusés inquiets de la réalité palpable.

   Cependant, deux films récents laisseraient penser que l'humanité, enfants et adultes confondus, se trouve déjà un peu lasse d'avoir pour héros un Mark Zuckerberg, c'est-à-dire de célébrer l'individualisme, la réussite financière, le repli sur soi cynique et apolitique. Deux très mauvais films, mais qui semblent esquisser frileusement la réinvention par l'homme d'un destin collectif, comme si même le public le plus lambda en était demandeur: Pacific Rim et World War Z . Dans le premier, des robots géants construits par un effort commun de tous les peuples repoussent la menace d'énormes dinosaures. Dans le second, énième film de zombies, la zombification est mondiale, et le héros, un agent de l'ONU – idée naïve de l'homme universel,- n'est plus cantonné à un périmètre restreint : il sillonne le monde, aidé par tous, pour sauver le genre humain.

   Dans les deux cas, il semble que la mondialisation fasse peau neuve. Elle abandonne son dur visage de cadre sup et nous tend une main franche, elle ne licencie plus personne, elle embauche tout le monde. Contre un ennemi inhumain, une nouvelle internationale est proclamée, qui ne parle plus finance mais grandes valeurs de l'humanité. Nous ne faisons plus qu'un, nous nous serrons les coudes. L'homme n'est plus un loup pour l'homme, car les hommes et les loups sont séparés.
   Dans Pacific Rim, la guerre froide et les méfiances interethniques ne sont déjà qu'un lointain souvenir: les Russes pilotent leurs robots usés aux côtés des leurs vieux ennemis, une enfant japonaise est adoptée par un Noir Américain, et les cerveaux du monde entier sont susceptibles d'être neuro-compatibles, c'est-à-dire de fusionner. De même, dans World War Z, toutes les dissensions entre les peuples doivent tomber, au profit de la seule lutte commune. Dans Jerusalem, Tsahal garde les Palestiniens au sein de ses murs, pour qu'ils ne deviennent pas des zombies supplémentaires à combattre. Cette stratégie, aussi calculée soit-elle, est le début inévitable d'un rapprochement. Guerre mondiale, donc, mais pas la troisième : la première, celle du genre humain réconcilié contre les ennemis du monde.

   Voilà au moins deux décennies que Hollywood rêve l'Apocalypse, dont quelques GI's et un scientifique finissent toujours par nous sauver, une bannière étoilée en auréole (Independance Day, Armageddon, etc.). Aujourd'hui, on peut bien dire que la recette est la même: 1ère moitié du film, judgement day ; 2ème moitié, patriot act. Mais un peu plus à chaque fois, c'est d'une lutte de l'humanité mondialisée qu'il s'agit, et de son triomphe dans la solidarité retrouvée entre les hommes. Hollywood – rêveuse, calculatrice?- nous donne ce qui nous manque : une mondialisation sans le Z qui nous replie comme des zombies sur nous-mêmes, le Z si décevant de l'idéal Zuckerberg, qui sépare les hommes sous couvert de les réunir. Enfin, ne plus gagner sur l'autre mais avec lui, n'avoir que l'intérêt général au coeur. Communiquer franchement, utilement, sans publicité. Un communisme de circonstance, en quelque sorte : non politique et forcé par les événements, légitime même pour l'Amérique. De quoi faire vibrer sans les compromettre des spectateurs nostalgiques d'un héroïsme entr'aperçu, au bac à sable ou ailleurs, et si peu ressenti depuis.
   Toutefois, le spectateur est-il mûr pour s'identifier à une épopée collective ? Un seul va-t-il se mettre si facilement dans la peau d'une multitude ? Ne nous emballons pas... Le triomphe de la nouvelle internationale post-apocalyptique ne dure en tout et pour tout que quelques petites minutes. Il sert de toile de fond légère au film, et à son dénouement béat. Le reste, le corps du film, comme toujours ce sera autre chose : un individu.
   Un Sinbad, un aventurier ? un qui aspire à l'absolu? Non. Plutôt un Américain, un qui a la tête sur les épaules, qui protège sa famille avec une arme à feu, qui saigne, qui enfonce des portes dans des corridors de doom like (World War Z), ou rivalise de virilité avec ses partenaires (Pacific Rim). Le monde combat comme un seul homme, mais Hollywood se méfie des métaphores : il nous faut vraiment un seul homme. Pas Ulysse : Bruce Willis. Un pro pas trop poète qui sauve et rétablisse à lui seul l'Equilibre.

   Non, le collectif ne l'a pas emporté sur l'individu, et c'est peu dire. Le spectacle, malgré les messages humanistes qui s'allument çà-et-là, reste celui de la sauvagerie dans l'arène, pas d'un monde soudé dans la lutte. Comprenons bien Hollywood: la mondialiZation n'est pas mauvaise en soi, elle doit seulement faire ses preuves, et recèle en son sein ce qui lui fait, ok, un peu défaut : solidarité, fraternité générale. Mais que survienne une bonne catastrophe -pas un krach boursier, une vraie catastrophe, avec des pattes- et nous verrons tout ce que modèle d'interaction sociale a dans le ventre : sa technologie, ses chefs, sa réactivité. Car gare tout de même à ne pas faire table rase du vieux monde: gare à préserver la fragile démocratie, c'est-à-dire, d'un seul tenant -pas le choix-, la liberté d'expression et celle d'être milliardaire. Gare à préserver le droit du plus fort, qui est aussi notre salut. La mondialisation qu'il nous faut, c'est être soudés derrière le ou les meilleurs, le sauveur ou la dream team qui nous guidera, brebis fidèles et suppliantes, vers la lumière.
   Est-il besoin de le préciser, la mondialisation sans le Z, ce n'est pas un monde purgé de son obscénité économique, ni même un bouleversement politique -ou bien seulement, au sens d'une harmonisation accélérée ; c'est un capitalisme radieux qui sort de la crise, et s'étend partout où il promettait d'être.
D'ailleurs, dans la plupart des productions-catastrophe à l'échelle du monde, la menace sort de nulle part. Si nous en sommes les responsables, c'est tout au plus pour des raisons écologiques (Le Jour d'après, Godzilla, et même Pacific Rim-), jamais stricto sensu économiques. Des monstres, ou des intempéries-monstres sortent de la fonte des glaces ou des mers polluées (conditions idéales pour les dinosaures), et effacent à temps la crise des subprimes pour nous souder face à l'adversité.
   
   La crise n'engendre pas de dinosaures ni, au sens propre, de zombies : seulement la misère. Et nous ne paierons pas pour voir la misère, seulement pour en être divertis. Le cinéma-miroir, c'est emmerdant, et le gigantisme des multiplexes a plus évidente vocation à accueillir des tornades que le long calvaire des ménages. Alors, ensemble, chantons avec Hollywood sous la-mondialisation-en-mieux, qui souffle le froid et le chaud : retour à l'action collective, triomphe de l'action individuelle ; bouleversement, immobilisme ; internationalisme, patriotisme ; humanisme, sauvagerie. Applaudissons les Gi's, les robots et l'ONU, et rêvons dans cette grande confusion de valeurs que nous renaîtrons reforgés de nos cendres. Main dans la main sur les ruines encore chaudes des vieilles frontières, quand nous reconstruirons tout, nous commencerons sans doute par les banques. Mais rien ne sera plus comme avant : nos usines seront écologiques, et nous serons tous des frères d'Amérique.

Alkinoos

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