mercredi 2 octobre 2013

Le champ des possibles



C'était en 1999, ou en 2OOO. Nagui recevait Nicolas Genka à Nulle Part Ailleurs. L'écrivain, âgé, n'était pas du tout impressionné par la froide rutilance du plateau télé, par le public prêt à hurler d'enthousiasme sur un simple geste du chauffeur de salle, ou par les mouvements de grue des caméras. L'homme -que je n'ai pas lu, autant le dire tout de suite- était là à l'occasion de la réédition d'un de ses deux livres -Jeanne la pudeur, je crois- immédiatement censurés après leur sortie en librairie, et cela seul semblait un événement pour lui ce soir-là. Il ne s'agissait pas d'un homme humble, du tout, mais plutôt de quelqu'un qui avait eu sa part de gloire et semblait avoir peu à craindre de la lumière des projecteurs : ses romans avaient trouvé pour défenseurs Cocteau, Aragon, et Paulhan, et pour les traduire, Pasolini, Nabokov et Mishima.
Genka parlait bien, et très lentement. Ses phrases faisaient de longues boucles et répondaient avec précision et délectation narcissique aux questions posées. Il s'écoutait dire, il ronronnait, grisé par sa propre parole, et c'était captivant à suivre. Ce n'était pas du verbiage. Il faisait de la littérature, à la télé.
Très vite, je fus frappé, devant le poste où je suivais l'émission, de cette tonalité qui dissonait si fort, et de la gêne produite. Dans le public mais surtout chez Nagui, réduit malgré lui au rôle d'un spectateur à qui on a tendu le micro. 
Pourtant Nagui parlait avec aisance, mais c'était l'autre aisance, tactique, prête à réagir, à casser et à aiguiller. Et face à celle de Genka, nourrie par l'art d'écrire, elle ne fonctionnait pas. L'écrivain pliait tout à son rythme. 
Quand il parlait, avec sa voix apprêtée, on aurait bien ri de lui. Mais passé la gêne, quelque chose forçait l'écoute, chez un public pourtant avide de bruit. 
Nicolas Genka parlait, parlait...jusqu'à la gêne des spectateurs, et au-delà. Tous attendaient, sourire en coin, l'éviction par "l'esprit canal" de cette parole extravagante, mais ça ne venait pas. La parole de Genka, close sur elle-même, semblait n'offrir aucune prise à l'interruption. Quelque chose d'intéressant se produisait, digne des balbutiements de la télé, des belles heures expérimentales de l'Ortf. Il parlait toujours et l'on ne savait plus combien de temps ça prendrait. On faisait le deuil du spectacle; on n'était pas là pour écouter mais il fallait se résigner à fournir cet effort : le bonhomme avait des choses à dire.
Bien sûr, ça n'était pas tenable. Au fond de lui, Nagui tapait du pied. A la régie, pareil. Déjà on sentait la pression des annonceurs, leurs pubs hennir dans les brancards. Canal + s'agaçait, perdait la main, ses grues et ses stromboscopes rouillaient, son groupe de rock, pris d'une envie subite de jouer à fond ses dix secondes, déprimait. Il fallait retrouver le rythme.
Cela arriva. On pouvait faire confiance à Nagui. 
Aussi loin que je me souvienne, ce fut durant une longue réponse de Nicolas Genka -à qui l'on ne demandait pourtant pas de répondre vraiment à la question posée- que Nagui attaqua. L'auteur expliquait qu'il avait écrit Jeanne la pudeur en soixante-douze heures d'affilée, puis qu'il s'était évanoui. Son émotion, peut-être, à l'évocation d'un pareil souvenir, faisait que sa manière affectée de parler s'outrait encore un peu. C'était l'instant propice.
D'abord Nagui, avec un air moqueur, appuya d'un petit mouvement de tête chaque intonation trainante de son invité. Il y eut de petits rires dans la salle. Enhardi, il n'hésita plus, et singea l'écrivain, en s'adressant à lui avec la même voix maniérée, comme s'il pilotait sa marionnette aux Guignols. L'audience rit franchement. Partout dans l'Hexagone.

Nicolas Genka n'était qu'un ringard. L'espace d'un instant on avait failli être hypnotisé par le lacis des mots, mais ça y est, on était réveillé. Et on constatait qu' il nous ennuyait.
L'écrivain, tout à ce qu'il racontait, donnait l'impression de ne pas même comprendre qu'on s'était moqué de lui. Peut-être n'avait-il vraiment pas compris.
Ce qui s'était produit était pourtant choquant. Ça n'avait rien d'une blagounette. C'était, trente-cinq ans après, le nouveau visage de la censure.
L'interdit ne portait plus sur le sexe ou la violence (tellement Canal), mais sur la possibilité même qu'il se passe quelque chose. Cette nouvelle censure ne faisait pas de politique, pas la morale, juste de l'argent. Une industrie énorme existait désormais à la  condition qu'il ne se passât rien.
Vous l'aurez peut-être noté : ça ne s'est pas arrangé depuis.
Mais pourquoi quelque chose serait-il un risque? Quels réels dangers présente l'imprévu? 
J'en vois bien quelques-uns: horaires bousculés, retard, propos improvisés débordant le thème initial, couacs et silences, transitions un peu trop lentes ou précipitées, risque que les invités s'engueulent, disent les mots qui fâchent;  et pour les techniciens, ne pas savoir d'avance quoi cadrer, enregistrer, éclairer...
Rien qu'à l'écrire, ça me donne envie d'y assister. 
Quel spectacle passionnant ce serait! Combien serions-nous, réveillés, impliqués, devant un écran où l'on sait que rien n'est joué d'avance? N'y trouverait-on pas, nous public, un intérêt plus fort et élevé, et eux -s'il le faut- du blé ?
Mais à la télé comme à la bourse, on n'aime pas trop les surprises. L'industrie télévisuelle, comme le petit actionnaire, est raisonnable. Elle préfère placer sûrement son argent que jouer gros. Pourquoi tenter l'aventure alors qu'on risque de tout perdre, et qu'on peut tout  maitriser? Un tien vaut mieux que deux tu l'auras. Et tant pis pour la joie.



Regardez ce court extrait du festival folk de Newport, en 64, où Bob Dylan chante "Mr Tambourine Man". Déjà, parce que c'est une très belle chanson, et si vous l'écoutez sans n'être attentif qu'à elle, vous aurez raison. 
La deuxième fois, disons, regardez ce qui se passe dans le champ.






Le présentateur appelle l'artiste sur scène mais le cherche des yeux, ne sait par où il va rentrer. 
Les micros ne sont pas réglés par avance pour Bob Dylan, plusieurs mains les ajustent approximativement, dont les siennes. 
Dylan accorde sa guitare sur la scène. 
Dans le champ, derrière lui, deux hommes sont assis tranquillement, dont le présentateur; on les voit très bien, presque aussi bien que le chanteur. 
Sur la scène, et devant, derrière la scène, des hommes passent, s'arrêtent un peu et repartent, prennent des photos, comme s'il s'agissait d'un stand de foire. 
Dylan, dans un micro qui semble grossièrement calfeutré avec du scotch, chante magnifiquement. 
Une corde pourrait aussi bien se casser, rien ne serait terminé. La scène où il chante est un théâtre ouvert aux accidents, aux temps morts et aux moments de grâce. Le champ de la caméra est celui des possibles.
Vous ne verrez jamais cela sur Canal +.
Ou alors dans la rubrique "Souvenez-vous"... 
(Avec Nagui en split-screen imitant Bob Dylan.)


Alkinoos


dimanche 15 septembre 2013

"Ils n'ont jamais appris à écrire" ou" les incipit": Rentrée littéraire chez Gallimard.



Dans une rame de métro bondée et nauséabonde, devant un UGC dans le vent glacial, ou chez vous, le soir, à glisser sur la même phrase en attendant qu'un petit son pavlovien vous avertisse d'un sms, vous aimez lire.

 Pour vous, la lecture a le goût des vacances, une odeur de sable ou de feu de bois. Toute l'année, parmi les pages, vous butinez des phrases, des flashs, avant le bureau, comme dans un étroit jardin portable.

Quand sonnent les heures dorées de l'été, souvent, trop souvent, le flirt et la mer vous accaparent. Vous tentez quand même de reprendre votre livre, le soir au lit, mais une détente complète de votre corps rend le précieux in-folio trop lourd entre vos doigts. Pas grave, vous le lirez demain. 
Proust n'a-t-il pas dit: "On a le temps?"

Seulement très vite, vous rentrez, vous allez au bureau. Et vous avez lu peu. De nouveau, les paragraphes bougent sous vos yeux dans les transports en commun, et le calendrier vous promet des voyages et des lectures à reprendre, assez bientôt.

En attendant cette heure bénie, il y a la rentrée littéraire, comme un avant-goût. 

"Surréaliste..."
RIEN ET PARTOUT, main sur le coeur et larme à l'oeil, vous a composé le plus beau des bouquets. Huit incipit de chez Gallimard – éditeur valeur sûre.
Huit fleurs de septembre sur les seize écloses, particulièrement jolies, parfumées ou piquantes.
Et quelques commentaires émus.


Alkinoos



1) Intérieurs, de Tomas Clerc

"Sonnette 
On sonne. J’y vais. Judas. Personne. Je prends les clés. J’ouvre la porte. Le palier du 2e étage. Vide. Coup d’œil. La cage d’escalier. « Il y a quelqu’un ? » Je n’ai pas rêvé. Je monte quelques marches. Je redescends. Je suis devant la porte ouverte."


Coup de coeur du blogger:
Tout de suite, être plongé dans l'action commentée, le pas-le-temps-d'en-dire-plus, être transporté telle une caméra à l'épaule... On se sent comme à Fort Boyard: "Ouvre, ouvre. Prends la fiole. Bouge la mygale. Prends-la. Allez la fiole. Maintenant sors. La porte. Sors!"
A la 1ère personne, c'est encore plus fort. Beau comme du Nicolas Hulot à deltaplane, moins les temps morts.


2) Robert Mitchum ne revient pas, de Jean Hatzfeld

« Depuis que Vahidin avait accéléré l’allure, Marija ne parvenait plus à retenir le fil de sa pensée. Elle haletait, le regard droit devant, entre les arbres qui défilaient. La transpiration dégoulinant de son front brouillait sa vue et en même temps dissipait les images de vétérans tchetniks, affublés d’uniformes grotesques sortis des greniers, qui la tracassaient depuis le matin.
Marija et Vahidin couraient côte à côte, elle à peine décrochée pour anticiper les intentions de son compagnon qui menait le train. Ils portaient les survêtements rouge, bleu, blanc de l’équipe yougoslave. Leurs pieds bruissaient sur un tapis spongieux de feuilles pourries par les neiges du dernier hiver. Devant eux, le dos rond du mont Igman s’imposait d’un brun-gris d’entre deux saisons, pas encore feuillu et plus du tout blanc. Ils couraient entre quatre rangs de platanes, huit cent quarante-huit, avaient-ils fini par compter au fil des courses, bordés de prairies. »


Coup de coeur du blogger :
D'emblée, on ne s'ennuie pas !




3) La Première Pierre, de Pierre Jourde 

« Surtout, tu ne cognes pas. C’est ce que ta mère t’avait dit : si on t’agresse, tu ne réponds pas. Ensuite, tu vas déposer plainte à la gendarmerie. Et Sophie, pour autant qu’est possible la mémoire de ce qui s’est passé, car la violence d’un événement a cet effet de recomposer ce qui l’a précédé, de redistribuer l’oubli et le souvenir, avait glissé, en termes moins impératifs, un conseil identique. Surtout, en cas de rixe, ne pas frapper.
Un livre avait été écrit : Pays perdu. Un livre qui serait difficile, même pour quelqu’un qui a pratiqué la théorie de la littérature, à définir en termes de genre. Le narrateur emploie la première personne, mais il ne se trouve pas au centre du récit. Au centre du récit, il y a le pays, et ceux qui y vivent. Celui qui raconte reste un personnage secondaire. Il y est question en passant de l’histoire de sa famille, de l’héritage d’un vieux cousin. Mais il s’agit avant tout de rapporter les obsèques d’une adolescente, la fille d’amis paysans. »


Coup de coeur du blogger :
Magistral incipit par strates, dont Pierre Jourde nous a généreusement fait parvenir le schéma intentionnel :

1) D'abord, vous accrocher. Vous plonger dans l'action : vous les lecteurs, avec des mots forts et des phrases courtes.
2) Vous montrer que ce roman, néanmoins et pour autant que tout se peut concilier, cubisme et tachisme, sécheresse et fluidité, car l'aspect réalisé d'une écriture n'en est qu'une des parties versatiles, a du style, et sépare avec brio le verbe de son sujet.
3) Vous dire enfin qu'on est entre nous, gens de lettres, Parisiens, pour qui l'analyse structurale du récit précède le récit même.



4) Comme Baptiste, de Patrick Laurent

« Introït 

J’ai assassiné mon père chéri. Je l’ai tué d’une main ferme, décidée. Et c’est très bien ainsi. Ma tête pend au-dehors, un linge mouillé. Cela va sécher. Sécher. Se raidir. Et m’apparaître comme la face d’un ange. J’en suis sûr. Cela ne peut être autrement. Mes jambes sont courtes pour courir loin d’un coup mais elles me portent en chantant, frémissantes colonnes d’abeilles. Je suis leur reine dirait-on.
Ah que ne sont-elles comme des tours où j’aurais pu l’emprisonner, mon père. L’emprisonner. »


Coup de coeur du blogger :
Patrick Laurent, génie libre, écrit son roman phrase par phrase sans savoir où il va, comme faisait Aragon (certaines répétitions un peu surprenantes sont autant d'instants où il cherche la suite).
Mais sur sa palette il y a plus de rouge. De sang, je veux dire.
Sa première phrase est digne des meilleures unes de Détective. Nous sommes secoués, et l'on sent que la meilleure part de notre voyeurisme est sollicitée. La part intelligente, qui a besoin de l'horreur pour atteindre la profondeur. C'est beau comme l'incipit de L'Etranger, mais vraiment excitant, comme Dexter.
Le reste du roman, c'est notre bémol, est un peu faible. En gros à partir de la deuxième phrase.
Mais l'art est difficile alors saluons le courage de l'auteur, qui a su tenir deux cents pages sur la lancée d'une phrase choc.




5) La Route du salut, de Etienne de Montety

« Les moteurs dégageaient une forte odeur de gas-oil. Devant la gare routière où d’ordinaire stationnaient les autocars de la Transmont, une dizaine de camions, des Skania, des Mercedes venus d’Allemagne, des Tam sortis des usines de Maribor, manœuvraient dans la poussière. Ils étaient chargés de gros fûts d’arbres qu’ils allaient convoyer jusqu’à Split ou Rijeka. Si tout se passait bien, Inch Allah, ils reviendraient avec un chargement de nourriture et de médicaments. Mais quand? Dans une semaine? Dans un mois ? »


Coup de coeur du blogger :
Magie du discours indirect libre, les deux mots « Inch Allah » nous transportent l'espace d'un instant dans la peau d'un Musulman qui peine, avant que nous ne rebasculions aussi sec dans celle d'un Parisien qui écrit, coincé entre parquet et moulures devant un MacBook.


6
) Plonger, de Christophe Ono-dit-Biot

« Du mieux que je peux

Tout a commencé avec ta naissance. Pour toi.
 Tout a fini avec ta naissance. Pour nous.
 Moi, ton père. Elle, ta mère. Ta vie fut notre mort. La mort de ce nous, cette entité de chair et d’âme qui avait présidé à ta naissance: un homme et une femme qui s’aimaient.
La vérité, ça n’existe pas, comme tous les absolus qu’on n’atteint jamais.
Je ne peux te donner que ma vérité. Imparfaite, partiale, mais comment faire autrement ? » 

Coup de coeur du blogger:
Ce qui est beau fait pleurer. Pour moi ce livre-ci l'est. Beau à faire pleurer. Je le dis à vous. Moi, le blogger, pour vous lecteurs. C'est moi qui pleure, pas vous. Mais à vous, moi, c'est ce que je dis. Ça, que c'est beau. Pour moi en tout cas.
C'est mon avis, mais quel autre vous donner ?



7
) L'Etat du ciel, de Pierre Péju

« 1 

Aujourd’hui, Dieu est mort, ou peut-être hier, je ne sais pas. Ou il y a deux mille ans ? Cinq mille ans ? De toute éternité ? Aucune importance. Au ciel, nous ne vivons qu’une seule et même journée infinie. À moins que Dieu ne soit tout simplement malade. Recroquevillé dans un coin. Le dos tourné à sa création. La face vers le mur du néant. Bien nauséeux et épuisé, en tout cas, Dieu ! Rêvant d’un sommeil sans rêve et d’un verbe infécond.
Nous, Ses Anges, sommes donc livrés à nous-mêmes. Sans emploi. Sans mission. Nous perdons un à un nos pouvoirs. Enfin, nous savons encore ouvrir n’importe quelle portion du ciel comme une trappe. Nous pouvons soulever le toit de vos demeures. Nous pouvons fouiller dans vos boîtes crâniennes, essuyer du doigt vos pensées sur les parois de verre de vos âmes comme sur un pot de confiture. »


Coup de coeur du blogger :
Autre bel hommage à l'incipit de L'Etranger, de Camus, avec un petit quelque chose en plus, nettement plus propre cette fois qu'un parricide (voir supra) : Dieu.
L'Ange qui parle, facétie savoureuse, est comme nous : il ergote, il doute, sa pensée tâtonne. Il se réfute. Il a lu Nietzsche. Il est parisien.
Plus audacieux que le « Inch Allah » de Etienne de Montety (voir supra), l'incipit de Maria Pourchet ouvre le Grand Paris vers le haut et absorbe le Paradis (tant pis pour les âmes qui n'ont pas un radis).
La fusion est complète, et c'est Paris qui gagne car Dieu est mort et les Anges sont désoeuvrés. 
A la lecture de cet incipit, ceux que leur sujet de thèse écoeure et qui aspirent à une mort libératrice devront se faire une raison. Retournez à votre thèse car : là-haut pareil, parquet-moulures, MacBook Air et terrasses chauffées. Rien ne sert d'être bon chrétien ou baudelairien. Vous n'y échapperez pas. C'est partout Paris. 
D'autres soutenances bidon, d'autres soirées molles vous attendent dans les nuages, et gare, les Anges ont lu plus que vous. (Ils n'ont que ça à faire.)



8) Rome en un jour, de Maria Pourchet

« Toit d’un hôtel, extérieur fin du jour 

Trente-cinq mètres, douze étages émergés et je dirais deux sous-sols, bien sûr que c’est quelque chose, rapporté aux proportions de Paris. De là à parler de gratte-ciel, je ne sais pas. À mon avis, c’est simplement que vous n’avez pas l’habitude d’aller si haut. Je vous assure moi que douze étages, un velum et deux cents mètres carrés de terrasse, ce sont des choses qui se font, c’est même le tout-venant à cette échelle. Mettons que vous ayez un hôtel. Vous n’avez pas d’hôtel, nous sommes d’accord, mais imaginons. Vous avez un hôtel. Bon. Vous avez donc un peu de relations à la mairie. Un papier, un tampon, vous voilà autorisé à terrasser votre toit, pour peu qu’il soit plat. Le reste, c’est l’histoire de trois lampions, de quelques lattes en bois traité, ici ils ont pris du teck, de vous à moi, ils se sont trompés, la précipitation sans doute. C’est fragile, le teck, et ça fait salle de bains. »


Coup de coeur du blogger :
Eh mais j'y pense, c'est du combien le m2, au Paradis... Encore plus cher que le sixième, à tous les coups. Je sens que je peux toujours me gratter pour être logé au ciel. Peut-être que si je prends un deux pièces, juste à la périphérie ou carrément au Purgatoire, seulement pendant quelques siècles, histoire d'économiser assez... Ou alors trouver un meilleur taf. Il faut que je fasse jouer mes diplômes, c'est chiant...
De quoi, " et le bouquin?"... Vous le connaissez, non? Tous les Parisiens le connaissent par coeur. 
Quant à vous autres, Provinciaux, Banlieusards, on ne vous parle pas.




dimanche 1 septembre 2013

RIEN ET PARTOUT vous souhaite une bonne rentrée

" Le travail ne s'accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu'on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort, un privilège dont on exclut plusieurs êtres humains du fait même qu'on en jouit, bref une place."

Simone Weil
Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale



"Alors, ces vacances, hein ? "



vendredi 30 août 2013

MondialiZation


   De nombreux enfants se verraient bien en Mark Zuckerberg. Sans doute pour le champ des possibles ouvert par ses milliards dans leur jeune imagination, mal informée du coût et de la variété des choses, mais capable de se projeter sur une île déserte ou dans l'espace - la fortune maximum équivalant à la liberté absolue. Pourtant, à l'heure où Think like Zuck, « les 5 secrets » de l'informaticien pour tous les jeunes ambitieux, s'apprête à connaître un succès de librairie prévisible, on peut se demander si Zuckerberg, Zorro moderne, est bien le héros des jeunes têtes ou celui de leurs géniteurs.

   Une entreprise qui engrange de faramineux bénéfices est-elle, comme le voudrait la droite libérale, le lieu de tous les rêves d'enfance, l'aventure la plus exaltante à suivre ? Le trader, l'actionnaire, le PDG sont-ils vraiment pour les enfants une figure chevaleresque possible, qui force l'admiration à la récré?
S'il est vrai que l'homme, selon l'exemple donné par Pascal, traque dans la chasse au sanglier davantage la chasse elle-même -c'est-à-dire l'action et le suspense- il me semble qu'on ne peut attendre à fortiori d'un enfant qu'il s'identifie au jeune héros milliardaire, assis sur son pécule et comme déjà en retraite, hissé là après avoir damé le pion à des adversaires qui n'ont pas su, comme lui, saisir les bonnes opportunités, mettre la loi de leur côté, déposer un brevet à temps, trahir un collaborateur, placer leur argent. Au récit de tant d'exploits, si l'enfance baille, qui cela surprendra-t-il ?
   Les parents, de leur côté, soucieux dès la fin du primaire de l'avenir chiffré de leur enfant, hanté par le mot « crise » qui remplace peu à peu le mot « monde », en viennent trop souvent à souhaiter que Zuckerberg, mieux que Zorro, fasse rêver leur progéniture. De l'audace, de l'audace, mais surtout de l'argent. L'audace sans argent peut mener en prison, et pas d'audace, à Pôle Emploi. Il faut donc faire preuve de bravoure -comme les chevaliers que vous aimez tant, les enfants- mais calculer d'abord. Si c'est Sinbad qui vous fait rêver, soyez Sinbad. A un petit quelque chose près, c'est la seule clause: partir pour les diamants, pas pour l'aventure. Mais de l'aventure, il y en aura, ne vous inquiétez pas !
   Seulement, Sinbad ne savait pas qu'il rapporterait chez lui des diamants, et c'est sans doute ce qui en fait un aventurier et un héros, récompensé pour sa soif d'inconnu et de péripéties par une Fortune bienveillante. Et l'enfance, à mon avis, ne s'y trompe pas : d'accord avec la Fortune, elle acclamera toujours Sinbad avant Zuckerberg. Pour elle, la beauté du geste, l'intention de qui agit ne comptent pas moins que les résultats obtenus.
   Si les petits veulent être cotés en bourse, c'est avant tout pour faire plaisir à papa maman, aux vieux enfants désabusés inquiets de la réalité palpable.

   Cependant, deux films récents laisseraient penser que l'humanité, enfants et adultes confondus, se trouve déjà un peu lasse d'avoir pour héros un Mark Zuckerberg, c'est-à-dire de célébrer l'individualisme, la réussite financière, le repli sur soi cynique et apolitique. Deux très mauvais films, mais qui semblent esquisser frileusement la réinvention par l'homme d'un destin collectif, comme si même le public le plus lambda en était demandeur: Pacific Rim et World War Z . Dans le premier, des robots géants construits par un effort commun de tous les peuples repoussent la menace d'énormes dinosaures. Dans le second, énième film de zombies, la zombification est mondiale, et le héros, un agent de l'ONU – idée naïve de l'homme universel,- n'est plus cantonné à un périmètre restreint : il sillonne le monde, aidé par tous, pour sauver le genre humain.

   Dans les deux cas, il semble que la mondialisation fasse peau neuve. Elle abandonne son dur visage de cadre sup et nous tend une main franche, elle ne licencie plus personne, elle embauche tout le monde. Contre un ennemi inhumain, une nouvelle internationale est proclamée, qui ne parle plus finance mais grandes valeurs de l'humanité. Nous ne faisons plus qu'un, nous nous serrons les coudes. L'homme n'est plus un loup pour l'homme, car les hommes et les loups sont séparés.
   Dans Pacific Rim, la guerre froide et les méfiances interethniques ne sont déjà qu'un lointain souvenir: les Russes pilotent leurs robots usés aux côtés des leurs vieux ennemis, une enfant japonaise est adoptée par un Noir Américain, et les cerveaux du monde entier sont susceptibles d'être neuro-compatibles, c'est-à-dire de fusionner. De même, dans World War Z, toutes les dissensions entre les peuples doivent tomber, au profit de la seule lutte commune. Dans Jerusalem, Tsahal garde les Palestiniens au sein de ses murs, pour qu'ils ne deviennent pas des zombies supplémentaires à combattre. Cette stratégie, aussi calculée soit-elle, est le début inévitable d'un rapprochement. Guerre mondiale, donc, mais pas la troisième : la première, celle du genre humain réconcilié contre les ennemis du monde.

   Voilà au moins deux décennies que Hollywood rêve l'Apocalypse, dont quelques GI's et un scientifique finissent toujours par nous sauver, une bannière étoilée en auréole (Independance Day, Armageddon, etc.). Aujourd'hui, on peut bien dire que la recette est la même: 1ère moitié du film, judgement day ; 2ème moitié, patriot act. Mais un peu plus à chaque fois, c'est d'une lutte de l'humanité mondialisée qu'il s'agit, et de son triomphe dans la solidarité retrouvée entre les hommes. Hollywood – rêveuse, calculatrice?- nous donne ce qui nous manque : une mondialisation sans le Z qui nous replie comme des zombies sur nous-mêmes, le Z si décevant de l'idéal Zuckerberg, qui sépare les hommes sous couvert de les réunir. Enfin, ne plus gagner sur l'autre mais avec lui, n'avoir que l'intérêt général au coeur. Communiquer franchement, utilement, sans publicité. Un communisme de circonstance, en quelque sorte : non politique et forcé par les événements, légitime même pour l'Amérique. De quoi faire vibrer sans les compromettre des spectateurs nostalgiques d'un héroïsme entr'aperçu, au bac à sable ou ailleurs, et si peu ressenti depuis.
   Toutefois, le spectateur est-il mûr pour s'identifier à une épopée collective ? Un seul va-t-il se mettre si facilement dans la peau d'une multitude ? Ne nous emballons pas... Le triomphe de la nouvelle internationale post-apocalyptique ne dure en tout et pour tout que quelques petites minutes. Il sert de toile de fond légère au film, et à son dénouement béat. Le reste, le corps du film, comme toujours ce sera autre chose : un individu.
   Un Sinbad, un aventurier ? un qui aspire à l'absolu? Non. Plutôt un Américain, un qui a la tête sur les épaules, qui protège sa famille avec une arme à feu, qui saigne, qui enfonce des portes dans des corridors de doom like (World War Z), ou rivalise de virilité avec ses partenaires (Pacific Rim). Le monde combat comme un seul homme, mais Hollywood se méfie des métaphores : il nous faut vraiment un seul homme. Pas Ulysse : Bruce Willis. Un pro pas trop poète qui sauve et rétablisse à lui seul l'Equilibre.

   Non, le collectif ne l'a pas emporté sur l'individu, et c'est peu dire. Le spectacle, malgré les messages humanistes qui s'allument çà-et-là, reste celui de la sauvagerie dans l'arène, pas d'un monde soudé dans la lutte. Comprenons bien Hollywood: la mondialiZation n'est pas mauvaise en soi, elle doit seulement faire ses preuves, et recèle en son sein ce qui lui fait, ok, un peu défaut : solidarité, fraternité générale. Mais que survienne une bonne catastrophe -pas un krach boursier, une vraie catastrophe, avec des pattes- et nous verrons tout ce que modèle d'interaction sociale a dans le ventre : sa technologie, ses chefs, sa réactivité. Car gare tout de même à ne pas faire table rase du vieux monde: gare à préserver la fragile démocratie, c'est-à-dire, d'un seul tenant -pas le choix-, la liberté d'expression et celle d'être milliardaire. Gare à préserver le droit du plus fort, qui est aussi notre salut. La mondialisation qu'il nous faut, c'est être soudés derrière le ou les meilleurs, le sauveur ou la dream team qui nous guidera, brebis fidèles et suppliantes, vers la lumière.
   Est-il besoin de le préciser, la mondialisation sans le Z, ce n'est pas un monde purgé de son obscénité économique, ni même un bouleversement politique -ou bien seulement, au sens d'une harmonisation accélérée ; c'est un capitalisme radieux qui sort de la crise, et s'étend partout où il promettait d'être.
D'ailleurs, dans la plupart des productions-catastrophe à l'échelle du monde, la menace sort de nulle part. Si nous en sommes les responsables, c'est tout au plus pour des raisons écologiques (Le Jour d'après, Godzilla, et même Pacific Rim-), jamais stricto sensu économiques. Des monstres, ou des intempéries-monstres sortent de la fonte des glaces ou des mers polluées (conditions idéales pour les dinosaures), et effacent à temps la crise des subprimes pour nous souder face à l'adversité.
   
   La crise n'engendre pas de dinosaures ni, au sens propre, de zombies : seulement la misère. Et nous ne paierons pas pour voir la misère, seulement pour en être divertis. Le cinéma-miroir, c'est emmerdant, et le gigantisme des multiplexes a plus évidente vocation à accueillir des tornades que le long calvaire des ménages. Alors, ensemble, chantons avec Hollywood sous la-mondialisation-en-mieux, qui souffle le froid et le chaud : retour à l'action collective, triomphe de l'action individuelle ; bouleversement, immobilisme ; internationalisme, patriotisme ; humanisme, sauvagerie. Applaudissons les Gi's, les robots et l'ONU, et rêvons dans cette grande confusion de valeurs que nous renaîtrons reforgés de nos cendres. Main dans la main sur les ruines encore chaudes des vieilles frontières, quand nous reconstruirons tout, nous commencerons sans doute par les banques. Mais rien ne sera plus comme avant : nos usines seront écologiques, et nous serons tous des frères d'Amérique.

Alkinoos